1 - Le buzz initial ?

Richie Hawtin demeure l'un des piliers (avec Carl Craig) de la seconde vague techno venue de Détroit, avec son projet devenu culte, Plastikman. Il a réinventé un son, une esthétique sonore toute en minimalisme cérébral et remontées acides de Roland TB-303. Ce personnage en plastique a injecté directement dans les tympans et dans les corps des noctambules une certaine idée du futur de la musique. Mais depuis dix ans, les choses ont un peu changé : VRP pour logiciels et équipements hi-fi au discours un peu lénifiant, genre gourou new-age pour enceintes à 2 000 balles, assurant la caution underground de soirées arty , Richie est devenu légèrement fatigant (quand il ne nous fait pas marrer en devenant par exemple ).

L'objet de son comeback sur album : Ex, premier LP depuis 2003, été enregistré « live » au Musée Guggenheim en novembre dernier. Un gala Dior où le DJ jouait devant quelques happy fews  : « Je ne connais rien au sujet de Richie Hawtin. Je ne suis pas tellement branchée sur tout la nouvelle hype » (sic), alors que pendant ce temps, se demandait s'il était possible de porter du Dior à une rave-party. Bref, malgré ce contexte cauchemardesque et fondamentalement à côté de la plaque, le souvenir d'un set intense lors de sa tournée best-of Plastikman en 2010 nous laissait quand même quelques espoirs.

De son côté, Richard D James, monsieur Aphex Twin, devient ici Caustic Window pour ce « nouvel » album. James est également culte, voguant entre autisme multi-alias (pour certains toujours pas assumés) et esprit électro-punk poussé dans ses derniers retranchements (Alec Empire peut aller se rhabiller avec ses collab' avec Steve Aoki). Tout le monde en a entendu parler, souvent au travers de ses clips : les visions de sa tête grimaçante collée au sommet de corps féminin sculpturaux ont égratigné la plupart des rétines qui ont eu la mauvaise idée de zapper, tard la nuit, sur le MTV des 90's. Ceux qui ont donné leur chance au produit ont aujourd'hui plaisir à retrouver l’empreinte d'Aphex Twin sur toute la scène expérimentale électronique du moment, de l'écurie Marble à Jon Hopkins en passant par Crystal Castles, le label Hyperdub voire même l’EDM (Skrillex avait déclaré vouer un culte au titre « »).

L'album dont il est question aujourd'hui date en fait de 1994. Produit par Rephlex Records, ce Caustic Window n’est jamais sorti dans le commerce, pour d’obscures raisons. Il y a quelques semaines, une campagne Kickstarter montée par une communauté de fans a permis d’acheter l'un des quatre double-vinyles (les test-pressing) débarqués il y a peu sur Discogs (et ). Après avoir eu l'accord du label et de Richard D James, les boss du site ont pu sortir une copie digitale téléchargeable par les financeurs.

2 - Les albums ?

Pour Ex, Richie ne s'est pas fondu les boulons et a pioché dans la base de sons de son label M-nus, rallongeant la sauce histoire de ne pas irriter la faune du Guggenheim. Mais Plastikman délaisse le beat, perd l'auditeur dans des méandres sonores un tantinet acides, quand des nappes plus graves et dramatiques émergent progressivement. Une ambition de bande sonore et un minimalisme qui se veut parfois paradoxalement quasi-lyrique même si l'ensemble ne prend malheureusement jamais. On a quand même l'impression d'écouter un disque easy listening de luxe vite emballé et nous donne en fait surtout envie de réécouter l’album Consumed. Avec ses quelques gimmicks agités comme des madeleines de Proust bien criardes, voire kitsch (le coup du sonar, sérieux...) rien donc de vraiment exaltant, alors que Plastikman n'était qu'avant-gardisme.

Côté Caustic Window, le fait que les titres aient été enregistrés en 1994, en plein âge d'or d'Aphex Twin, joue forcément en la faveur de James. Petite appréhension, malgré tout, avant la première écoute : finalement, en considérant les dizaines de sorties de Richard D James sous de multiples alias, ce LP avait peut-être été mis de côté pour de bonnes raisons. Cela dit, on est vite rassuré : après « Flutey », s’étalant sur 8 minutes, dans lequel l’on peine un peu à rentrer, débarque un « Stomper » beaucoup plus accrocheur avec ses sonorités industrielles et ses lignes acides immédiatement identifiables, que l’on retrouvera plus tard sur le dingue « Revpok » et les bruitistes « Phlaps » et « Cunt » (qui pousse très loin le concept de « sonorité acide »). Débarque ensuite le superbe « Mumbly », transformant sonorités rave en mélopées hypnotisantes. Sur ces parties plus mélodiques, avec notamment les superbes « Airflow » et « Squisge in the Fridge », le côté brut des sonorités reste toujours propice à une certaine poésie ambient.

L’issue du match est sans appel : Caustic Window est bien plus foisonnant que la livraison trop vite torchée de Plastikman. L’album de Richard D James rappelle à la réécoute, ces sonorités 90's sonnant étonnamment modernes, alors qu’on préférera oublier le nouveau Richie Hawtin.  

3 - Le futur ?

Aux dernières nouvelles, Richard D. James aurait pas moins de onze albums sous le coude. On peut s’attendre également à ce que l'initiative Caustic Window fasse des petits et, pourquoi pas, à voir sortir de manière un peu plus légale les Analogue Bubblebath 5 et Melody From Mars, ce dernier ayant seulement été diffusé en cassette (et l’unique vinyle existant ). On espère simplement qu’il évitera les collaborations avec Die Antword (avec qui il a joué en live) et laissera à Björk la joie de certaines expérimentations live (remember l’?). Lors de ses DJ set, le producteur préfère violenter son public à coups de remixes breakcore et drill’n bass de ses propres productions, ou de titres d’autres artistes aussi dancefloor qu’Autechre. Si l’on était pessimiste quant à la suite, on pourrait se dire que Richard D James va nous jouer encore longtemps le coup de l’arlésienne de son nouvel album. L'homme est trop maniaque pour s'accorder avec lui-même sur un enchaînement de titres assez pertinent à ses yeux.

Richie Hawtin, lui, cultive toujours un peu plus son look d’ et tourne dans le monde entier comme tout bon DJ qui se respecte. On le retrouvera donc à Glastonbury, à la Peacock parisienne et bien évidemment au Space d’Ibiza. On l’imagine aussi en pleine R&D pour son prochain show Plastikman 1.6 avec des concepts un peu chiants sur le papier, mêlant architecture, performances arty et installation sonore innovante. Si l’on était très optimiste pour l'avenir, on pourrait se dire qu’après une tournée, une compile, une réédition et un nouvel album de Plastikman, Richie Hawtin va peut-être tourner la page et travailler à une nouvelle révolution sonique.