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Trans Europe Express, par Mr Nô: "je jouais carrément caché derrière mes machines"

Grand musicien accompagné d'un grand voyageur, Mr Nô n'est pas juste l'un des artistes électro les plus fascinants de notre pays, il en est aussi l'un des plus vagabonds. Ici, il nous raconte ses villes, ses amis, et son parcours.
11/09/2015 / Nico Prat

"Parler de Clermont-Ferrand et Lyon, c’est parler de mes parents. Lyon maternelle, Clermont-Ferrand paternelle. Yin et yang, un peu. Je n’ai grandi dans aucune des deux villes mais à côté d’Aubusson, dans la Creuse, avant de m’installer à Clermont-Ferrand pour étudier la philosophie.

En débarquant dans la cité auvergnate, j’ai pris de plein fouet les concerts d’Electro_Chok à La Coopérative de Mai et de 101 au Velvet (aujourd’hui devenu le 101, d’ailleurs). Ce fût une révélation. La Onzième Marche d’Agoria, un lyonnais, me hantait aussi depuis un bail et j’ai choisi de faire le saut vers cette musique.

Je bossais à l’usine en parallèle des études et j’ai pu me payer des machines, un Nova et une Drumstation de Novation, une Mackie MS1202, un Yamaha A3000… Un disque de maquettes sous le bras, j’ai cherché à rencontrer les artistes et collectifs en place à Clermont-Ferrand, mais la chasse était gardée. On dit parfois qu’il est difficile de s’intégrer dans cette ville de pierre noire, pour ma part ce fût le cas. Naïvement, je me suis alors présenté à La Coopérative de Mai. Ils m’ont orienté vers Ludovic Lefrançois, référence électro de l’équipe. Aujourd’hui je le considère comme mon étoile. Il a écouté deux morceaux et m’a mis en relation avec le directeur de la salle qui m’offrait mon premier concert. J’étais terrorisé, je jouais carrément caché derrière les machines, tête baissée. Panique.


Peu après, avec mon ami Florian qui se lançait dans la performance vidéo, nous avons monté un live audio/vidéo. Le festival Vidéoformes nous a accueilli en résidence et nous avons fait ce projet expérimental avec des télévisions cathodiques sur scène. Je scandais dans un vocodeur, Florian balançait des images hallucinées, tout était en direct avec de vieilles bécanes, aussi bien la musique que la vidéo, un joyeux bordel.

 

 

Festival Vidéoformes, Clermont-Ferrand - 2007


Pour décrocher des dates en France il fallait publier quelque chose mais je n’avais pas de morceaux. J’ai réalisé en vitesse un remix pour un groupe de rock local et JD Beauvallet des Inrockuptibles a été le premier à en parler. Là encore, j’étais autant heureux que paniqué. D’autres demandes de remix ont suivi et j’ai pu tourner en France pendant presque deux ans sans avoir publié de morceau original, c’était assez étrange de ne jouer que des remixes. Pénible même, à la longue.

A partir de là j’ai mis les études et le travail en pause. Ludo m’a présenté des amis à lui et nous avons monté notre propre collectif, puis organisé nos événements. La mairie et le festival Europavox nous ont repéré et ça a permis de relancer une dynamique dans la ville, complémentaire d’une première scène électro quelques années plus tôt. Clermont-Ferrand compte quelques piliers de l’underground électronique, SYD, Nancy Fortune, Syrob, Franck Sarrio ou Eedio, sortis sur Clone, Viewlexx, Bunker, BPitch Control… Un CV qui claque pour une ville de taille moyenne.


 

L'Autre Canal, Nancy - 2009

 

J’ai eu la chance d’être Découverte du Printemps de Bourges, mais la véritable chance fût de rencontrer Gwendoline qui y travaillait. Elle m’a pris sous son aile et m’a poussé à assumer la musique que je n’osais pas encore faire. Je rêvais de new wave et de techno, Gwendoline m’a permis de franchir le premier pas vers la composition originale.

Il était temps de sortir un premier ep, j’ai ébauché une première démo qui est arrivée, grâce à La Coopérative de Mai, qui pousse énormément la scène locale, dans les oreilles de Peter Hook et de son agent qui m’ont invité à jouer pour la réouverture de l’Hacienda, à Manchester.

Passer de Clermont-Ferrand à l’Hacienda fût violent, je n’avais pas le temps de réaliser. Il a fallu quelques jours sur place, à trainer dans les bars mancuniens et arpenter les squats de Salford (ville jumelée à Clermont-Ferrand et qui a enfanté les plus grands acteurs de « Madchester », à commencer par Tony Wilson lui-même) j’ai compris que si Clermont-Ferrand devait-être une ville outre-manche, elle serait Manchester.


 

Hacienda, Manchester - 2010 © Florian Cardinale


Il m’a fallu un an pour terminer deux morceaux. J’essayais toutes les machines et logiciels possibles. J’ai envoyé un mail à Different Recordings (label qui avait sorti The Hacker, Agoria et Vitalic qui étaient mes modèles en artistes français), Fabrizio le directeur du label est venu me voir en live au Rex, à Paris, et quelques mois plus tard je sortais « Snake EP ». Ce premier ep m’a mis sur les routes européennes, de la Fabric à Londres au Razzmatazz à Barcelone. Fabrizio est devenu mon manager et une fraternité s’est installée, Mr Nô est autant à lui qu’à moi.

 


Fabric, Londres - 2011


A la fin de la tournée « Snake EP », un soir de concert au Divan du Monde, Jean-Charles de Castelbajac était dans la salle. Il est venu me voir à la fin et quelque chose s’est passé. Nous avons inauguré le festival Lille3000 avec notre projet « Fantômes » devant des centaines de milliers de personnes, un moment incroyable, autant improvisé qu’impensable pour moi qui sortait juste mes premiers morceaux.


 

Lille3000, Lille - 2012


J’ai publié un second ep, « Versus EP », qui m’a porté jusqu’à New York, à la Glasslands Gallery pour ma première date outre-atlantique. Les projets avec Jean-Charles de Castelbajac se sont étoffés et nous nous sommes retrouvés à Montréal, Dubaï ou… Lyon, pour la Fête des Lumières.

 


New York - 2013 © Datis Balaï


Là, Florian, mon vidéaste, ne se reconnaissait plus dans ce qu’il se passait. Il avait envie de se concentrer sur des actions locales à Clermont-Ferrand et de s’extirper du milieu électro. Pour moi, c’était l’inverse.

Une rencontre avec Jean-Charles Vergnes, directeur du FRAC Auvergne, fût bouleversante. Grâce à lui notre collectif s’est transformé en petit label indépendant dont la première sortie format double vinyle s’est accompagnée d’oeuvres d’art signées David Lynch, Jens Wolf, Philippe Decrauzat… Dans le même mois nous publiions ce disque et je prenais l’A89, la Transeuropéenne, pour m’installer à Lyon.


 

Salle Nan Goldin, exposition l'Oeil Photographique, FRAC Auvergne - 2014 © Romain Chatras


Lyon, maternelle. Depuis tout petit je venais ici, emménager c’était comme rentrer à la maison.

Avec Plus, le label, nous avons choisi de prendre notre temps avant de publier des sorties, chaque artiste devrait évoluer et arriver à maturité, la qualité sur la quantité.

Petit à petit les artistes ont trouvé leurs marques, Comausaure a fait les Inouïs du Printemps de Bourges et des dates en Europe, Asmar repéré par la clique AntiChambre à Paris.


 

Botanique Festival, Bologne - 2014 © Sophie Collet


Lyon est une ville d’art, d’histoire et de culture. Les relations entre les artistes sont saines, sincères. Forcément, ça aide. Je ne rejette pas Clermont-Ferrand, bien au contraire, je viens d’y programmer un événement de musique électronique en juillet, un projet que nous avons porté depuis des années et qui a enfin vu le jour avec la mairie. Deux jours et nuits de concerts partout dans la ville, au dessus de l’eau, au pied de la cathédrale… La programmation était en grande partie clermonto-lyonnaise, clin d’oeil aux amis de l’une et l’autre.

 


Parcours, Clermont-Ferrand - 2015 © Rémi Le Pogam


Nous avons nos bureaux et studios ici à Lyon, et nous y sommes bien. Théo Haggai, un artiste et ami très proche, vit ici aussi.

La suite, sortir nos nouveaux morceaux, tout est prêt. L’idée est créer notre famille, notre milice comme dirait Simon de CLFT.

Je suis très « famille »".

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