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Le rap indé, son histoire et ses héros : une interview de Sylvain Bertot
Dans son dernier livre, le journaliste spécialisé dans le hip-hop Sylvain Bertot revient, en « 30 scènes et 100 albums », sur l'histoire et les héros du rap indépendant. Nous l'avons rencontré, histoire de remettre le point sur le « i » de « indie ».
03/10/2014 / Maxime Delcourt

Auteur de (éd. Le Mot Et Le Reste, disponible dans les meilleures crémeries depuis la fin juin), Sylvain Bertot, co-fondateur du site POPnews et patron du blog Fake For Real, pose un regard profond et réfléchi sur l’indie rap et ses figures emblématiques. L’occasion de remettre J.Dilla à sa juste place, d'évoquer une époque qu'Aloe Blacc et Danger Mouse n'auraient jamais dû quitter et de comprendre pourquoi on peut être puriste tout en collaborant avec Olivia Ruiz.

Après un premier livre consacré à 150 albums cultes du hip-hop, vous venez de publier un ouvrage sur le rap indépendant. J’imagine donc que vous êtes pour la distinction entre rap commercial et rap indépendant, que l’on considère généralement comme plus authentique ?

Sylvain Bertot : Être authentique, c'est en effet l’objectif avoué du rap indépendant. La majorité des rappeurs de ce mouvement déclarent vouloir délibérément évoluer en marge des grosses majors du disque et éviter les choix artistiques trop conventionnels. Mais je ne dirais pas pour autant que le rap commercial est inauthentique, c’est plus subtil que ça. Le rap sudiste, par exemple, qui a souvent su être très porteur commercialement parlant, a pu être à la fois hyper démagogue, très sincère et créatif.

Dans les années 90, beaucoup considéraient le rap indépendant comme du « hip-hop pour ceux qui n’aiment pas le hip-hop ». C’est un peu réducteur, non ?

Oui, c’est très provocateur et à vrai dire ce n’est pas toujours exact. Parfois, au contraire, le rap indé c'est le rap des puristes. En fait, il existe plusieurs sortes de rap indé : 1 – un rap indé au sens économique du terme, majoritaire, avec des rappeurs qui évoluent en indé par la force des choses, et non par idéologie ; 2 – un rap indé idéologique, avec des rappeurs qui se prétendent indé par choix, parce qu'ils qui ont voulu garder le contrôle de leur production et rester authentique ; 3 – un rap indé au sens esthétique du terme, avec des rappeurs qui ont refusé les règles préétablies, qui ont choisi de bousculer les normes du rap. Cette dernière école était importante autour de l'an 2000, quand on a vu des rappeurs flirter avec des sonorités rock, folk ou électro.

Beaucoup de rappeurs ont également flirté avec des

Oui, Dr. Octagon adoptait déjà ce genre démarche en 96. Organized Konfusion et Company Flow ont aussi joué de cette imagerie. Mais la vraie rupture esthétique, c’est avec l’arrivée du label Anticon et ses sorties complètement délirantes Cette rupture est liée aussi à un changement sociologique dans la pratique du rap. Il n'était plus réservé aux Blacks, aux gens du ghetto, mais aussi à des rappeurs blancs de classe moyenne, issus de petites villes provinciales, américaines ou canadiennes. Bien sûr, beaucoup de ces gens avaient un déficit de crédibilité, ils étaient considérés comme des rappeurs pour intellos. Mais Internet, qui a été moteur dans le rap indé, leur a permis d’exister et de pousser leur démarche encore plus loin, et d'orienter le rap dans de nouvelles voies.

Il y a aussi l’inverse, des rappeurs indés qui ont complétement profité d’internet pour se tourner vers un public de masse, comme Aloe Blacc, Eminem ou Danger Mouse.

Oui, ces rappeurs là viennent aussi de ce circuit, même s'ils n'ont pas tous eu besoin d'Internet pour se faire connaître. Eminem, c’est bien connu, est issu du circuit des battles du Midwest. Aloe Blacc faisait partie d’Emanon, un groupe indé californien, avant de devenir la star qu’il est aujourd’hui. Pareil pour Danger Mouse. C’était un pote de J-Zone, un rappeur indé très coté mais qui n’a jamais fait carrière. Ils faisaient à peu près tous les deux la même chose, mais Danger Mouse a vu sa carrière décoller quand il a eu cette idée de génie : mixer le White Album des Beatles avec le Black Album de Jay-Z pour donner… le Grey Album. Il y a d’autres exemples, notamment Kanye West qui était assez lié à cette scène. Il était proche de Talib Kweli et a voulu être signé sur le label Rawkus, avant de rejoindre Jay-Z et les autres. Il a aidé son compère Rhymefest, vainqueur du Scribble Jam, l'événement indé par excellence, à se faire connaître du grand public. Il y a eu le turntablist A-Trak, un autre indé, pour DJ. Kanye a d'ailleurs hérité quelque chose de cette mouvance indé. Ça s’entend encore dans certaines de ses productions récentes.

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