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MELODY'S ECHO CHAMBER : « J'ai du mal à m'écouter chanter »
Au-delà de son statut d’expatriée de la pop, l'album de Melody Prochet est la surprise brumeuse de la rentrée. En onze chansons, la demoiselle séduit. En près d'une demi-heure d'interview, le constat est à peu près le même.
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06/10/2012 / Nico Prat

Melody Prochet est une curiosité. Cette jeune française née dans le sud de la France, anciennement chanteuse de My Bee's Garden, a enregistré son album à Perth, dans le sud-ouest de l'Australie. Sa relation avec Kevin Parker, le wonderboy de Tame Impala, n'est d'ailleurs pas étrangère à ce petit voyage d'études (Parker y vit). Côté paperasse, elle est signée sur le label Fat Possum (The Walkmen, Spiritualized, Wavves) de l’autre côté de l’Atlantique et sur Weird World (Washed Out, Smith Westerns) de l’autre côté de la Manche. On parlera de dream-pop, et après tout pourquoi pas. En onze chansons et autant d’accords, la demoiselle séduit. C'est Kevin Parker qui tient les manettes, et tout s’emboîte à l'écoute du disque : aux obsessions soniques de son homme, elle oppose un sens presque théâtral de la mélodie. Pour finir, elle se paie même le luxe d'une hype des plus saines : les articles la concernant se multiplient, sans désépaissir pour autant ce charmant mystère qui l’entoure. 

MELODY PROCHET : J’aime le minimalisme. Donc au moment où tu te dis que le morceau est fini, je vois ce que je peux enlever. Et si le morceau fonctionne sans, alors je le vire. Et tu sais que la chanson est réellement terminée quand tu ne peux plus rien enlever. C’est en tout cas comme ça que je fonctionne. Je suis très dure avec moi-même, donc je sens que mes chansons me plaisent, me touchent, et j’en suis fier, mais je suis trop focalisée sur les détails pour être vraiment émue en les écoutant. J’ai du mal à m’écouter parler, chanter. En plus, j’ai l’oreille aiguisée de la musique classique, donc si c’est un peu faux, ça me fait horreur.

Ce minimalisme ne colle pas vraiment avec ton éducation musicale.

Je suis née dans le sud de la France, et j’ai fait le conservatoire d’Aix-En-Provence, de 6 à 18 ans, pour apprendre l’alto. J’ai fait de l’orchestre symphonique, de la musique de chambre, même au collège j’avais des horaires aménagés. J’ai aimé des choses, mais avec le stress, les auditions en permanence, c’était beaucoup de boulot, en plus de l’école, et c’est devenu difficile. Je ne bossais pas beaucoup, je faisais le minimum. Mais j’ai eu des moments très intenses en orchestre, tu joues une partie simple, donc c’est agréable, mais il y a ce son grandiose autour de toi, cette montée d’émotions, cette communion. Et ces morceaux de génie. J’ai fait de la chorale, petite, et j’ai ressenti ce genre de choses également. Les harmonies, c’est hyper émouvant. Je ne regrette donc pas tout ce travail. Mais finalement, au sein d’un orchestre, tout est fragmenté. Violon 1, violon 2, violoncelle 1, etc… C’est en général assez simpliste, c’est juste qu’il y a des dizaines d’instruments. Donc ce n’est pas contradictoire avec mon envie de minimalisme dans ma musique.

Ta passion pour la musique vient d'où ?

Mon père était bassiste dans un groupe. Il jouait au Club Med, il faisait des reprises. Il a d’ailleurs rencontré ma mère au Club Med, puis ils ont eu des enfants, et il a dû mettre la musique de côté. Je pense que c’est douloureux pour lui d’ailleurs, sa basse est toujours sous son lit. C’est lui qui m’a offert ma première guitare. Ma mère, elle, chante dans une chorale depuis des années. Mon frère était à l’époque fan de Vangelis et de Jean-Michel Jarre. Et ma sœur chante super bien. Donc la musique est présente chez nous, depuis toujours. En revanche, j’ai découvert la musique, disons, expérimentale, sur le tard, il n’y avait rien dans le sud, pas de radio, rien. Puis il y a eu Radiohead, et le jeu de Jonny Greenwood, sa guitare et ses ondes Martenot. Puis, dans la foulée, Blonde Redhead, Sonic Youth. Je me suis rendu compte que cette musique existait, et que c’était ce que je voulais faire plus tard. J’ai vu Sonic Boom sur scène, j’étais hypnotisée. Quelque chose de complètement fou. J’ai hâte de voir Spiritualized en concert.

 

 « Je suis une personne super sensible »

 

Revenons à cet album. Qui n’est pas ton coup d’essai.

J’ai enregistré un album, avant celui-ci. Un album fantôme, car le label a fermé. Mais être une pop star ? Ce n’était pas un rêve, ça ne l’est toujours pas. Vivre de la musique est clairement un but. J’y arrive, même si j’ai été babysitter l’année dernière. J’ai adoré ceci dit. Donc bien sûr, c’est un rêve. Et signer sur un label américain, puis un label anglais, c’est génial. J’ai encore presque du mal à y croire. Par contre, je me retrouve déconnectée de la scène française. Je me sens en dehors. J’ai fait la couverture de Tsugi, avec la nouvelle scène française, et je ne connaissais personne. C’était étrange.

Et l’enregistrement de ce disque en lui-même ?

Nous sommes rentré en studio pendant l'été 2011 a Perth dans le sud de l'Australie. Et ensuite, j'ai enregistré mes voix et écrit les textes chez mes grands parents a Cavalière. Je n’ai aucune méthodologie, ça change à chaque fois. Parfois, il faut que je sois cloitrée chez moi et que je commence à m’ennuyer. Ou alors quand je ne me sens pas très bien, que quelque chose m’a ému. Après, je prends mon petit Yamaha tout pourri, sur lequel je fais une boîte à rythme, puis des arpèges. Ça donne la démo, puis je bosse sur la mélodie. C’est en général comme ça que ça se passe. L’inspiration, elle, se trouve un peu partout. Je suis grande fan de Five Easy Pieces par exemple, ce film de Bob Rafelson. Je suis très inspirée par les expressionnistes aussi. En particulier cette peintre allemande, . J’ai eu un coup de foudre. Je me dis que si je devais être peintre, je ferais un truc comme ça. C’est de toute beauté. 

Ça semble presque facile, raconté comme ça, de composer un morceau.

Par le passé, ça a été une souffrance, écrire une chanson, mais pas sur ce disque. C’était d’avantage de l’amusement, en tout cas sur la prod. Mes chansons, elles, sont nées après une rupture, et sont donc pleines de ce sentiment de culpabilité, d’abandon. Le côté « artiste torturé », pfff, ça ne me parle pas. Mais j’ai une douce mélancolie, depuis toujours. Je suis une personne super sensible, je peux pleurer quatre fois par semaine, c’est « Jean qui rit, Jean qui pleure ». Même à l’école, je pleurais pour un rien. J’ai un trop plein d’émotions je pense. Mais maintenant, au lieu de pleurer, j’écris un morceau. Donc je n’écris pas en permanence. Seulement ans mes phases un peu bizarre.

 

« Je n'aime pas analyser ma musique »

 

Et avec Kevin Parker, de Tame Impala, qui a produit le disque

Chaque interview, on me parle de Tame Impala. Mais c’est normal, Kevin a produit le disque. Donc je ne le prends pas mal. Il joue également de la basse et de la batterie sur l’album. On s’est rencontrés en 2010, quand j'avais fait la première partie de son groupe avec mon ancien projet, My Bee’s Garden.

Et la tournée justement, tu la travailles comment ?

Le live, quand j’enregistre, je n’y pense pas. Mais là, en ce moment, on y travaille. Est-ce que je veux coller au disque, ou tout changer ? J’ai voulu être proche du son de l’album, ce qui est quand même mieux pour faire découvrir ta musique, mais sans faire un copier-coller. On va avoir des sons de batteries électroniques. J’ai envie d’expérimenter. J’espère que les gens ne trouveront pas ça trop bizarre, un bassiste mais pas de batteur. Mais si ça ne marche pas, on changera, c’est pas grave.

Tu enchaînes les interviews en ce moment, un exercice nouveau pour toi. Ça va, c'est pas trop effrayant ?

Personnellement, je n’aime pas analyser ma musique, c’est ennuyeux, je suis mauvaise, et c’est très personnel. Tout à l’heure, un journaliste a très bien interprété un de mes titres, et ça m’a surprise moi-même. Donc ça peut être intéressant. Mais il ne faut pas trop analyser, car ce disque a été fait avec beaucoup de spontanéité. T’as compris les textes ? Beaucoup de gens me disent qu’on ne pige pas de quoi je parle. C’est voulu, d’ailleurs je ne veux pas des textes dans le livret. Ce sont des choses personnelles, mais en même temps assez abstraites. Mais sur certaines phrases, on comprend de quoi je parle.

Il est trop tôt pour parler de la suite ?

Je pense déjà à la production de mes nouveaux morceaux, il y aura sans doute plus de cordes. Pour le moment, en parler, ça me gonfle un peu, je préfère agir, tu t’en doutes. J’ai hâte de partir en tournée, voir ce que ça donne, voir les réactions des gens. Mais je n’ai qu’une envie : retourner en studio.

 

Album : Melody's Echo Chamber (Fat Possum/Weird World)

Sortie le 5 novembre.

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melody's echo chamber ; tame impala : melody prochet

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