Gros coup de coeur des Transmusicales 2015, le duo suisse Klaus Johann Grobe a confirmé que leur recette de soul-rock psychédélique chanté en allemand était l'une des plus belles choses arrivées dans la musique ces dernières années.
magazine / interview
Bison Bisou: “on peut parfois avoir l'impression d'être mal compris”
Quand avez-vous commencé à bosser sur cet EP ? Et aviez-vous en tête de faire un EP ?
Seb : On a commencé à plancher dessus en 2014. Auparavant on s'était retrouvé sur deux splits et on voulait vraiment sortir notre truc à nous, plutôt un album. On avait déjà plusieurs morceaux sur le feu alors on s'y est attelé naturellement. Puis on a subi différent changements de line-up qui ont un peu ralenti le processus. Finalement on a décidé de sortir un Ep 6 titres à la place d'un album, c'était plus cohérent, en terme de temps et d'argent dépensés mais surtout d'esthétique, on préférait avoir quelque chose d'homogène plutôt qu'un assemblage de morceaux disparates. Ça raconte vraiment une période du groupe. Aujourd'hui on réfléchit déjà à la suite, on compose pour préparer un nouveau disque.
Charly : Oui c'est cool, Regine c'est des morceaux auxquels on tient beaucoup, et je crois qu'on voulait les enregistrer, les sortir pour avancer. Ça me fait penser à la mue d'un serpent.
Je trouve que vous avez été discrets depuis notre tournage. Vous étiez où ?
Seb : C'est vrai qu'on a eu une petite période de creux, mais on a surtout passé pas mal de temps sur Regine. Ça inclut de passer un peu moins de temps sur la route et plus en répèt' pour composer, faire des pré-maquettes, passer du temps en studio à enregistrer, mixer etc. Même si du coup, on a peut-être été un peu moins visibles pour les gens qui nous suivent un peu, on n'a pas vraiment chômé dans l'ombre. Et aujourd'hui on est super contents de sortir cet Ep et de reprendre activement la route!
Charly : C'est normal pour certains animaux de rentrer parfois dans leur tanière pour s'occuper des petits, se réchauffer, se protéger, se reposer, ça ne veut pas dire que l'animal en question ne ressortira pas chasser, faire une balade champêtre, ou draguer.
Nous avions eu l'occasion de parler du rock et du punk et de sa représentation dans les médias. Vous avez l'impression d'être compris aujourd'hui ? Ou d'être encore coupable d'un "délit de sale gueule" ?
Seb : "Rock" et "Punk" sont depuis pas mal d'années maintenant des termes complètement galvaudés, ça n'a plus vraiment de sens - si ça en a déjà eu un - donc c'est difficile de se rattacher à une quelconque représentation de l'un ou l'autre. Chacun y va de son étiquette et de sa petite version, machin est "très rock", bidule a "une énergie punk". Souvent on ne sait même plus à quoi cela fait référence, entre le sens originel des mots et le détournement "marketing" qu'en ont fait les "médias", justement. Et si on peut parfois avoir l'impression d'être mal compris, c'est avant tout parce que les médias qui parlent de cette musique ne cherchent pas à mieux comprendre pour mieux l'expliquer aux gens, tout est rassemblé sous des termes génériques qui ont déjà été rabâchés mille fois et qui sont devenus creux. On se fiche pas mal de savoir si on fait du rock ou du punk ou du zouk love post indus, derrière la musique d'un groupe il y a avant tout une démarche et des individus qui décident de s'exprimer, et ça peut donner des choses très différentes. On fait cette musique là parce que c'est ce qui résulte de nous cinq quand on joue ensemble. On n'essaie pas de fabriquer un truc ou de chercher à être quelque chose de précis. On n'essaie pas de réinventer la musique, on cherche à être nous, au plus proche, sans tricher. Aujourd'hui si tu fais de la musique, tu peux faire le choix de proposer un produit de divertissement tout en un, avec un joli emballage, ou d'essayer de raconter un truc personnel en essayant d'être le plus vrai possible par rapport à toi-même et aux gens que tu peux rencontrer, que ce soit sur la route, sur scène ou en interview, par exemple. C'est un peu comme une conversation, tu peux être d'accord avec tout ce que dira ton interlocuteur et tout se passera bien, tu vas aussi t'emmerder royalement, mais tu peux aussi essayer de le comprendre quitte à rentrer en conflit avec lui. Cette deuxième solution implique plus de risques, et beaucoup de médias ne sont pas prêts à les prendre, parce que c'est "compliqué", parce que ça ne va pas captiver suffisamment l'audience etc. Heureusement certains le font, mais les médias de masse ne cherchent plus depuis longtemps, ils ont baissé les bras et c'est très dur maintenant de faire machine arrière.
Taratata, Monte Le Son, Alcaline... La musique à la télé, ça vous intéresse ? Ou vous ne regardez pas ?
Seb : Ça nous arrive oui bien sûr! Mais ça pourrait et ça devrait être beaucoup plus subversif.
Charly : Quand je regarde la télé c'est en général pour les films, et encore, même pour ça il y a parfois conflit d'intérêt. Je rêve d'une émission avec que des artistes indie ! Je me dis qu'il y aurait un public. Ou alors une chaîne de télé à la Tracks, avec des films cool, des émissions déjantés.
Vous vivez toujours dans le Nord ? La scène est comment là-bas, il se passe des trucs ?
Seb : Toujours oui! On s'y sent bien, c'est assez chouette ici, on a la chance d'être proche de la Belgique qu'on adore, des Pays-bas etc, il y a une culture qu'on aime beaucoup. On a tous grandi ici et ça a sûrement forgé quelque chose dans notre façon d'être. La scène lilloise est très éclectique, il n'y a pas vraiment de noyau garage, metal ou autre, c'est bien, tout le monde se côtoie, la pop, la noise, l’électro. On a aussi la chance d'avoir pas mal d'infrastructures. Malheureusement pas toujours bien gérées par les pouvoirs locaux, qui ne mettent pas forcément l'argent là où il faut, préférant construire de nouveaux lieux plutôt que d'aider les structures déjà actives et très efficaces. Mais on se sert les coudes, et on essaie d'avancer! On vient de finir de booker la tournée et on se rend compte que presque partout en France c'est le même scenario qui se rejoue en boucle. De plus en plus de groupes chouettes qui veulent se produire et de moins en moins de structures adaptées. Les associations doivent se démerder et restreindre leur activités pendant que des budgets pharaoniques sont dilapidés dans des infrastructures surdimensionnées qui peinent ensuite à tenir une prog descente tout au long de l'année.
Charly : On a plein de choses à redire sur comment fonctionne la culture dans la région, mais je suppose qu'en tant qu'artiste, on ne nous écoutera pas. C'est absurde mais pas une fatalité. J'aime bien l'idée selon laquelle on peut réussir quelque chose quand ce quelque chose nous passionne. Tof et moi, nous avons organisé et nous continuons d'organiser fréquemment des concerts, c'est important pour nous d'aider les groupes qu'on aime en tournée. Quand je fais jouer un artiste à Lille en général je me dis que si je n'avais pas été là personne ne l'aurait programmé, et je trouve ça chanmé.
Je garde le souvenir d'un concert complètement dingue à Roubaix. La scène, c'est la raison d'être du groupe ?
Seb : C'est une partie importante de la vie du groupe c'est vrai. On y pense sans cesse, même tout au long du processus de composition des morceaux, c'est une chose qu'on garde en tête. Pour nous c'est vraiment un exutoire. C'est un super terrain de jeu, et quand tu passes 5 à 7 heures par jour dans un camion, malgré la fatigue occasionnée, il y a cette envie de jouer qui prédomine. On adore aussi rencontrer les gens lors des concerts, discuter avec eux. Ça fait aussi partie de l'aventure d'être dans un groupe, encore une fois, il y a le côté humain qui est hyper important pour nous, on est pas du genre à jouer, remballer et filer à l’hôtel. Ça nous intéresse pas de faire le "show", on est là pour partager des choses et se faire mutuellement du bien!
De quoi parlent vos textes ?
Charly : Les lyrics de Regine parlent la plupart du temps de la naïveté émotionnelle à laquelle je suis constamment sujet. Beaucoup de choses m'excitent, et puis l'instant d'après je suis fatigué et je m'endors. Je crois que toutes les paroles font référence à ce double-état physique et mental. Tout ça finissant toujours par partir en couille si vous me permettez l'expression.
Seb : Du coup on peut parler d'un fil rouge oui, comme une sorte de string sans fin!
2016 pour vous, ce sera quel programme ?
Charly : Il y a plein d'endroits où on n'a pas encore mis les pieds. Actuellement on a juste hâte de partir sous peu pour notre première vraie tournée, personnellement, je n'arrive pas encore à voir plus loin, tellement je suis excité.
Seb : Tourner tourner tourner, en France et ailleurs, et terminer de composer l'album auquel on pense déjà.
Avez vous déjà ressenti de la lassitude, une envie de laisser tomber le groupe ?
Seb : Non, jamais. Parfois c'est compliqué, il y a des hauts et des bas, des périodes de doutes, mais ça n'est vraiment pas quelque chose dont on pourrait se passer. C'est une chance incroyable de pouvoir vivre tout ça, et il y a sans cesse des choses qui te poussent à aller plus loin, écrire de nouveaux morceaux, rencontrer de nouvelles personnes…
Charly : Comme le dit Seb, être dans ce groupe, faire de la musique plus généralement c'est une réponse que nous adressons à la vie. On est reconnaissants envers les personnes qui nous font jouer, pourvu qu'elles soient sympathiques, car elles n'imaginent même pas à quel point elles nous permettent de nous épanouir.
Vous écoutez quoi en ce moment ?
Seb : Là on se prépare à partir en tournée donc ce genre de question est très sensible sur la route, mais on arrive généralement à se mettre d'accord sur un petit Cheb Mami ! Plus sérieusement, j'ai déménagé il n'y a pas longtemps donc je redécouvre un peu mes disques au fil des cartons. J'ai pas mal écouté le dernier dernièrement, et plein de truc noise du debut 2000, et aussi des tas de disques ramassés en tournée, des groupes cools avec qui j'avais partagé des dates.
Charly : Demain je fais jouer , un groupe néo-zélandais quelque part entre la dance et le shoegaze, du coup j'ai écouté ça toute la journée.
EP DISPONIBLE
Photos: Yannick Lagier
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