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Star Wars et la philo: “J’ai eu l’idée de traiter du thème de la diversité à partir des stormtroopers”

Chez DumDum, on ne s’interdit rien (surtout quand on aime), pas même de mettre de côté la musique et de parler de Star Wars. Et de philosophie.
18/09/2015 / Nico Prat

Gilles Vervisch est l’auteur de Star Wars, La Philo Contre-Attaque (Editions Le Passeur, sortie le 24 septembre), un livre étudiant la saga de George Lucas sous un angle inédit, celui de la philosophie (oui, celle qu’on a appris à détester en terminale). Et pourtant, c’est une réussite. Rencontre avec l’auteur.

 


Peux-tu m'expliquer ce qu'est la pop philo ?

 

Dans « pop » philo, il y a « pop », ce qui signifie populaire. C’est donc de la philosophie qui tente de sortir de sa tour d’ivoire ou de la Sorbonne, d’éviter un langage trop jargonneux, bref, de se rendre accessible au plus grand nombre.

 

Mais la « pop philo » peut aussi se référer au « pop art » : c’est la philosophie qui étudie des objets de la culture populaire (ou « pop culture ») qui ne sont pas a priori des objets philosophiques (Ciné, série TV, actu, pub, etc.). Dans ce sens, la « pop philo » est peut-être née dans les années 1980 aux Etats-Unis, quand le philosophe américain Stanley Cavell a commencé à faire de la philosophie sur le cinéma en étudiant les films de Franck Capra.

 

As-tu toujours eu une vision philo de Star Wars ? Ou c'est venu plus tard ?

 

« Toujours » ? Non ! Pour la bonne raison que j’ai découvert « La guerre des étoiles » quand j’avais 10 ans (à l’époque de la sortie du Retour du Jedi). Alors, j’aurais sans doute eu du mal à avoir une vision « philosophique » de Star Wars. Donc, oui, c’est venu plus tard : en fait, c’est en commençant à enseigner aux élèves et à écrire mes premiers bouquins que je me suis rendu compte que je parlais toujours de Star Wars à un moment donné. Après, il y a eu cette conférence TEDx où j’ai eu l’idée de traiter du thème de la diversité à partir des stormtroopers. Et là, je me suis dit : faut que je fasse un truc là-dessus !

 

 

Tu parles assez peu de Jar Jar Binks dans ton livre. Tu le détestes comme tout le monde ?

 

Je ne le « déteste » pas. Mais effectivement, Jar-Jar Binks, c’est Star Wars chez Disney avant l’heure. Dans la prélogie, Jar-Jar Binks est à l’humour ce que Dark Maul est au Mal : un personnage raté. C’est la caution ou la dimension « humour » de cette trilogie, mais on est un peu passé à côté. Dans l’Empire contre-attaque, Lucas avait réussi à faire une marionnette pas ridicule avec Yoda, et là non, ça ne passe pas. C’est l’âge, peut-être…

 

Quelle autre saga pourrait mériter une telle étude philosophique ? Le Seigneur des Anneaux ?

 

Le Seigneur des Anneaux, bien sûr ! D’ailleurs, quand je parlais de mon projet, on m’a dit que Star Wars était nul, qu’il n’y avait « rien » dedans, et que le Seigneur des Anneaux était autrement plus « profond ». C’est qu’au départ, J.R.R. Tolkien, c’est pas Jo le clodo : prof d’université, grammairien, etc... Il a commencé ses histoires surtout pour inventer la langue elfique. C’est profond : Bettelheim cite plusieurs fois Tolkien dans sa fameuse Psychanalyse des contes de fées.

 

Après, bien sûr, Game of Thrones : en fait, il s’agit de « saga » qui ont toujours une dimension mythique (ou mythologique), et dans laquelle tout le monde retrouve les thèmes universels de la condition humaine (le bien, le mal, la religion, etc.)    

 

 

Penses-tu que Lucas avait dès le départ une lecture philosophique de son œuvre ?

 

Oui et non! (Réponse de Normand qui vient de Rouen)

 

Comme je le rappelle dans le bouquin, Lucas avait d’abord l’idée de faire un film divertissant pour les jeunes (les « kids »), pour les amuser. Mais en fait, il était très influencé par les cours et la lecture de Joseph Campbell, Bettelheim, Carlos Castaneda. Tout ça, c’est plutôt de la psychanalyse, mais déjà, ça veut dire que Star Wars n’est pas seulement un « divertissement », et qu’il y a du fond.

 

Côté philo, Lucas indiquait très tôt qu’il voulait traiter du sujet de la liberté et de la responsabilité qu’il considère comme le fil rouge entre ses trois films : THX 1138, American Graffiti et Star Wars. Et puis, il y a Dieu, le Bien et le Mal.

 

Le vrai tournant philosophique se fait sans doute avec L’Empire contre-attaque (qui est décidément le meilleur). Pour Lucas, la scène cruciale est celle de la fin où Luke doit choisir entre finir sa formation ou sauver ses amis : c’est la question du choix. Lui-même évoque quelque chose entre le déterminisme et l’existentialisme.

 

Et puis, Irvin Kershner (le réalisateur de L’Empire contre-attaque) rappelle qu’ils s’intéressaient beaucoup à la philosophie zen. C’est surtout ça qu’on retrouve dans Star Wars, plutôt qu’une philosophie occidentale : d’où mes références aux samouraïs, au zen et aux arts martiaux.  

    

Tu as 100 mots pour essayer de me convaincre que L'Attaque des Clones est un grand film. Go !

 

C’est trop long ! Non : c’est vrai qu’entre le début sur Coruscant à moitié pompé sur le 5ème élément, et la fin sur Géonosis qui ressemble à un dessin animé, c’est très bancal.

 

Mais disons que c’est un film nécessaire : c’est à peu près là que toute l’intrigue politique se met en place. C’est un film « charnière ». Surtout, il y a toute la question des clones : Obi-Wan débarquant sur Kamino en assistant à « création » d’être humains à la croissance accélérée. Quand on les voit tous alignés en train de manger dans leur immense réfectoire, ça fait bien sûr penser à un régime totalitaire. On nous dit que ces clones obéissent au doigt et à l’œil. D’où toutes ces questions : peut-on cloner un être humain ? Celui qui ne dispose plus de son libre-arbitre est-il encore un homme ? (Une nouvelle version des clones se retrouvant chez les « immaculés » de Game of Thrones). Bref, si on cherche du philosophique dans Star Wars, c’est quand même là qu’on le trouvera.

 

En résumé : L’attaque des clones n’est pas le film le plus spectaculaire, mais le plus philosophique. Mais c’est très démago de dire ça…

 

 

Quelles sont tes attentes pour l'épisode 7 ?

 

C’est justement qu’on ne se retrouve pas avec le même problème que dans toutes les suites (sauf le Parrain II) : une débauche de technique, et zéro scénario. J’attends surtout qu’il y ait ce fond, une vision (après tout, les séries TV actuelles y arrivent très bien depuis Les Soprano). Si c’est juste un blockbuster pour que Disney se fasse de l’argent avec la licence Star Wars, c’est dommage, mais c’est le risque majeur, évidemment.    

 

La philo autour d'une œuvre pop est-elle encore possible dans le Hollywood d'aujourd'hui ? Terminator Genisys et Jurassic World semblent assez pauvres. Ou peut-on philosopher sur tout ?

 

Moi je dirais qu’on peut philosopher sur tout : Héraclite, philosophe de l’antiquité grecque aurait dit à ses visiteurs : « entrez, il y a aussi des dieux dans la cuisine ». Alors, je dirais, « venez, il y a aussi de la philo dans la salle de cinéma ».

 

Star Wars, (Editions Le Passeur)

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