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Albert Hammond Jr.: “Une fois que tu maîtrises ton art, tu commences à savourer”

Il était sur scène, au festival Primavera. Deux fois, en solo, et avec les Strokes. Il était également, quelques jours plus tard, à Paris, pour parler de Momentary Masters, troisième album à paraître le 31 juillet.
29/06/2015 / Nico Prat

C’est un homme heureux d’être là et revenu de loin (la drogue, en gros) qui se tient face à nous, sous le soleil, en terrasse d’un chic hôtel parisien. Albert Hammond Jr. peut avoir le sourire: il le sait, Momentary Masters, son troisième album en solo, est une réussite. Toujours aussi fin dans sa composition et malin dans ses arrangements, le songwriting du guitariste a gagné en maturité, en sophistication, sans jamais perdre de sa richesse mélodique. Parce que rien ne vaut un bon refrain, et qu’il le sait. Rencontre avec Albert Hammond Jr., pour parler de tout, sauf des Strokes.


“Je reviens d’Espagne, je suis allé voir mes parents après Primavera. Puis, quelque jours de vacances au Maroc. Je suis en plein forme (rires)”.

 


Quand as-tu commencé à bosser sur cet album ?


“J’écris tout le temps, pas par session. Je compose en permanence des petits bouts de… Trucs. Je peux fredonner un refrain, ou juste gratter quelques accords sur ma guitare, ou imaginer un couplet au piano. J’enregistre en permanence quantité de choses. Mais pour ce disque, au moment d’entrer en studio, je crois que je n’avais que trois démos, rien de plus. C’était la première semaine de l’été, l’année dernière. Et ça a marché, j’ai donc ouvert mon dossier, sur mon ordinateur, dans lequel je garde toutes mes idées. Et je peux déterrer de très vieux trucs, car ça ne sent jamais le renfermé, tu peux toujours en faire quelque chose de moderne, même si ton refrain date de 2007”.


Au moment de mettre tout bout à bout, tu commences par quoi ?


“Jamais par les paroles, ça c’est certain. J’ai parfois quelques phrases en tête au moment d’enregistrer, mais ce n’est jamais un texte fini. Pour moi, bosser sur la musique et les textes, ce sont deux choses complètement différentes”.


Et c’est une souffrance ? Tu connais le cliché, le musicien qui souffre pour composer.


“Quand tu vis une vie d’émotions extrêmes, tu écris mieux quand tu te situes au milieu, quand tu n’es ni profondément heureux, ni profondément malheureux. Quand tu es juste normal finalement. Je suis parfois triste et malheureux, mais désormais, j’ai plus de temps, je tempère les choses. Je pense que le cliché de la rock star qui est triste et te sort un solo de malade, c’est bon pour les films. Ou si tu es Beethoven et que tu comprends la musique comme un language. Mais personnellement, si je suis trop heureux, je ne vais pas prendre ma guitare. Et si je suis triste, alors je n’en ai rien à faire de cet album que je dois terminer”.


Et les textes ?


“Quand j’étais jeune, quand j’avais quatorze ou quinze ans, certaines chansons me faisaient me sentir différemment, certains textes très précis me faisaient changer d’humeur. Je pouvais devenir une autre personne. C’est ça que je veux retrouver. Mais tu ne peux y arriver à chaque fois. Certaines chansons sont juste fun. Je me fiche d’être personnel dans mes textes, d’être honnête, je veux juste que ça colle avec la mélodie. Parfois, une phrase tout simple aura davantage de sens si elle fonctionne dans le refrain, plutôt qu’un texte très compliqué qui ne colle pas du tout avec le reste, tu vois ce que je veux dire ? Tu veux juste sonner naturel, tout en trouvant des mots cools que les gens ne s’attendent pas à entendre. En fait, tu plantes des graines, et tu regardes ce qui pousse. Si l’arbre n’atteint pas une certaine hauteur, alors tu jettes”.

 


Sur ton temps libre, tu ne fais que de la musique ?


“J’aimerais, un jour, faire du cinéma, ou de la télévision. Je ne sais pas vraiment à quel niveau, mais je désire vraiment m’impliquer là-dedans. J’ai d’ailleurs écrit le scénario d’un film. J’ai même essayé de le réaliser, mais c’est difficile quand ce n’est qu’un hobby, personne ne te fera confiance si tu ne t’impliques qu’à moitié. “Oh, tu n’arrives pas à réaliser ton film, ne t’inquiètes pas, je vais le faire à ta place” (rires). J’en rigole mais c’est ainsi que les choses se passent. Tu dois être chaque jour sur le terrain, soigner ton histoire, rencontrer des financiers, le faire produire. Je pense que plus tard, j’aurai le temps, quand je serai plus vieux. J’aimerais aussi ouvrir un restaurant. Je cuisine un peu. J’imagine un endroit où les gens pourraient manger sainement. Où serait mon restaurant ? Je ne sais pas. Londres, Manhattan et Paris (rires). Ce triangle me plaît bien. Tu dois voir les choses en grand non ? Bon, le restaurant n’existe même pas encore, mais dans un monde parfait, il serait là. Ce serait excitant. Sinon, j’aime aussi la plongée, la moto. J’ai un pote qui a un garage, qui répare des motos, et j’aime apprendre en le regardant bosser. Quand il rafistole un moteur, c’est de l’art”.


Et tu voudrais sans doute être dans un garage plutôt qu’ici, non ? Je suis le dernier journaliste après deux journées de promo.


“Ce n’est pas quelque chose de difficile, mais la plupart du temps, tu cherches vraiment comment répondre aux questions, comment transmettre de la meilleure façon possible ce que tu veux dire. Je te parle, puis tu vas traduire, puis tu vas écrire. Et certains mots peuvent ne pas avoir le même sens. Cela dépend aussi de la personne qui va lire l’interview. Avant, je pensais beaucoup à ça. Mais aujourd’hui, je me dis “fuck it”. Je veux juste avoir une discussion sympa avec la personne en face de moi. Et c’est une chance pour moi d’avoir des gens qui s’intéressent à ma musique, je ne vais pas me plaindre”.


J’imagine que gamin, comme n’importe quel gosse, tu te rêvais rock star, en jouant de la guitare imaginaire devant ton miroir…


“Et en répondant à de fausses interviews sous la douche” (rires).


… Le fantasme était-il à la hauteur de la réalité, maintenant que tu es effectivement dans ce business ?


“Bonne question, et je pense que non, le rêve était meilleur. Quand tu es un gamin, ce n’est que de l’excitation, tu ne penses qu’à la foule, aux concerts, aux filles. C’est un rêve facile. Tu ne t’imagines pas qu’il va falloir bosser dur, passer des heures sur ta guitare, répéter en boucle ce solo que tu n’arrives pas à jouer correctement. Tourner, beaucoup, être en permanence fatigué. Alors, en grandissant, tu te rends compte que le rêve n’était qu’un rêve. Mais une fois que tu as fait tout ce boulot, que tu maîtrises ton art, alors là tu commences à savourer”.

 


Tu es un immense fan de Buddy Holly. Tu l’écoutes encore ?


“C’est marrant, mon père m’a mis le disque il y a quelques jours en Espagne. Et en l’écoutant, je me suis souvenu de pourquoi je l’aimais autant, et pourquoi j’ai ressenti un choc en l’écoutant étant gamin. Il rendait tout possible, alors que c’était un virtuose, mais il avait le don de t’embarquer et de te convaincre que tu pouvais être à sa place. Je ne peux pas expliquer, c’est comme expliquer l’amour. Quand tu tombes amoureux, c’est ainsi, et c’est tout. Avec Buddy Holly, c’était exactement pareil”.


Tu aimes ta musique ?


“Oui, je ne fais pas un album en réaction au précédent. Je suis toujours curieux, et ma musique me permet de me découvrir un peu plus, de repousser un peu plus les limites, avec le groupe. Un nouvel album, c’est comme un nouveau jouet, et tu te dis “tiens, essayons, voyons combien de temps ça peut nous amuser”.


Tu me parlais de cinéma. Tu te vois devant la caméra ? Ce serait comme monter sur scène ?


“Pourquoi les gens jouent ? Parce qu’ils le doivent. Ils ne peuvent faire autrement. Je ne sais pas vraiment comment je suis quand je suis sur scène, ou comment je suis quand je suis moi-même. C’est quoi être soi-même ? C’est quand tu es avec tes potes d’enfance, j’imagine, que tu ne peux pas tricher. Mais sur scène, je passe par des dizaines d’émotions. Je peux être heureux, apeuré, confus, honteux”.


Parle moi de “Side Boob”. C’est le titre de chanson le plus cool du monde, rien que ça.


“J’avais quelques notes au piano, qu’on a remplacé par une guitare. J’avais aussi un riff, qui pouvait coller. J’ai donc tout mis dans le même dossier sur mon ordinateur. Puis, petit à petit, la chanson est née, et il y avait beaucoup d’excitation dans la pièce. Et cette chanson a toujours eu "Side Boob" pour titre, je ne sais pas pourquoi. C’est juste cool. Et les gens me demandaient “tu es sûr de vouloir garder ce nom ?”. Mais évidemment, c’est parfait ! Et tu as tellement d’images en tête quand on te dit side boob. Les gens sont trop sérieux”.


Tu écoutes quoi en ce moment ?

“Je viens de déménager, et j’ai mis des jours avant de sortir ma platine vinyle des cartons. Je ne sais pas pourquoi, mais ma femme et moi nous écoutons en boucle le premier album de The Police, . On l’a mis un jour, j’ai retourné le vinyle, puis elle aussi, puis moi de nouveau. Et j’écoute aussi énormément cette chanson de Wire, “”. Je pense même la reprendre en tournée. Mais sinon, en ce moment, je n’écoute pas grand chose, tout simplement parce que je n’ai pas le temps, sauf un peu à la radio. Dans le tour bus, notre bassiste a mis Mac Demarco. Je ne connaissais pas, c’est cool. C’est une belle musique pour voyager. J’aime beaucoup Metallica, sur les premiers albums, mais tu ne peux pas écouter ça dans un tour bus une heure avant de monter sur scène, c’est trop lourd. Beaucoup trop. Bon, sinon, je sais que ça sonne prétentieux, mais j’écoute beaucoup Beethoven. “” est ma chanson préférée, de tous les temps. Avant de partir de chez moi, je mettais cette musique pour m’habiller. Elle me fait me sentir bien”. 

Sortie le 31 juillet 2015

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